- date_range 21 nov. 2024
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Cet article a été réalisé en partenariat avec Julie Rivière, docteure en psychologie, spécialisée dans la prise en charge des pensées répétitives négatives.
En psychologie clinique, les ruminations jouent un rôle central dans le développement et le maintien de nombreux symptômes psychologiques, notamment l'humeur dépressive et de l'anxiété. Les ruminations sont des pensées répétitives et intrusives qui focalisent l'attention sur les causes ou conséquences des événements négatifs. Toutefois, il est important de distinguer deux types de ruminations : les ruminations abstraites et les ruminations concrètes. Cette distinction est fondamentale pour mieux accompagner les patients et patientes dans leur gestion des ruminations.
Ruminations Abstraites
Les ruminations abstraites se concentrent principalement sur des questions du type "pourquoi". Elles encouragent une réflexion introspective excessive sur les causes, conséquences et significations des événements négatifs.
Exemple : Imaginez une personne qui estime avoir raté une présentation importante au travail. Les ruminations abstraites prendraient la forme de questions telles que : "Pourquoi est-ce que je n'arrive jamais à bien faire les choses ?", "Pourquoi suis-je toujours aussi nerveux dans ces situations ?", "Est-ce que mes collègues me jugent maintenant ?". Ces pensées renforcent le sentiment de mal-être sans aboutir à une action ou à une solution.
Ces pensées alimentent la frustration et l'anxiété, sans aboutir à une résolution du problème. Les travaux de Susan Nolen-Hoeksema sur la rumination ont montré que cette approche introspective excessive est particulièrement préjudiciable pour les individus sujets à la dépression car elle maintient l'attention fixée sur des éléments générateurs de stress sans proposer de solutions pratiques.
Ruminations Concrètes
À l'inverse, les ruminations concrètes se focalisent sur le "comment". Elles encouragent une réflexion pratique et ancrée dans les besoins du moment présent, orientée vers l’action et la résolution de problèmes. Ce type de réflexion est associé à une meilleure gestion de l’humeur car elle permet de faire face activement aux situations, plutôt que de les subir.
Exemple : Dans le même scénario d'une personne qui estime avoir raté une présentation au travail, une réflexion concrète consisterait à se demander : "Comment puis-je me préparer différemment pour la prochaine présentation ?", "Quels outils ou techniques puis-je utiliser pour gérer mon stress ?", "À qui puis-je demander des conseils ou de l’aide ?".
Cette approche aide à générer des solutions et à réduire l'humeur dépressive et l'anxiété, car elle incite à agir de manière proactive.
Faire expérimenter à vos patients et patientes la différence entre ruminations concrètes et abstraites
L'expérience de pensée "Pourquoi-Comment", est un excellent exercice pratique pour aider les patients et patientes à comprendre la différence entre ces deux types de ruminations et leurs impacts sur l'humeur.
Voici comment la mettre en place :
Visualisation initiale : Invitez la personne à imaginer qu'elle a un rendez-vous important et que son moyen de transport habituel n'est soudainement pas disponible (voiture en panne, vélo avec un pneu crevé, bus en retard, etc.). Encouragez-la à se plonger dans cette situation en lui demandant de vous décrire un maximum de détails sensoriels.
Évaluation de l'humeur pré-rumination : Demandez à la personne d'évaluer son humeur sur une échelle de 1 à 10 allant de "humeur dépressive" à "excellente humeur". Demandez lui également d'évaluer son niveau de stress et de noter si elle a des ressentis physiques désagréables.
Ruminations abstraites : Proposez maintenant à la personne de réfléchir pendant une à trois minutes à cette situation en se posant des questions "pourquoi", telles que : "Pourquoi cela m'arrive-t-il ?", "Quelles seront les conséquences ?", "Pourquoi je n'ai jamais de chance ?".
Évaluation de l'humeur post ruminations abstraites : Après quelques minutes, demandez au patient ou à la patientes d'évaluer son humeur et son niveau de stress. Interrogez la personne sur ses pensées et sensations physiques.
Généralement une diminution de l'humeur et une augmentation du stress est constatée à ce stade de l'expérience. Si le niveau de détresse est trop important et que la personne n'a pas les ressources pour continuer, nous vous invitons à utiliser vos outils classiques de gestion de la détresse avant de passer à la suite.
Ruminations concrètes : Replongez la personne dans la situation mais cette fois, la consigne est de réfléchir pendant une à trois minutes à cette situation en se posant des questions "comment", telles que : "Comment puis-je résoudre ce problème ?", "Quelles sont mes ressources disponibles ?", "Comment faire pour limiter les dégâts".
Évaluation de l'humeur post ruminations concrètes : Après quelques minutes, demandez au patient ou à la patientes d'évaluer son humeur et son niveau de stress. Interrogez la personne sur ses pensées et sensations physiques.
Discussion : Engagez la personne dans une réflexion sur la différence entre les deux types de ruminations. Cela permet de mieux comprendre l'impact des ruminations abstraites sur l'humeur et d'identifier les avantages des ruminations concrètes.
Vous trouverez gratuitement la trame de l'expérience "Pourquoi-Comment" ici : Expérience "Pourquoi-Comment.
Travailler à rendre les ruminations plus concrètes
Avec cette compréhension, le travail thérapeutique développé entre autre par l'équipe d'Edward Watkins consiste à aider les patients et patientes à adopter un mode de pensée plus concret et expérientiel. Voici quelques stratégies pour y parvenir :
Reformulation des pensées : Apprenez à la personne à repérer ses ruminations abstraites et à les reformuler en termes pratiques. Par exemple, remplacer "Pourquoi est-ce que ça m'arrive ?" par "Comment puis-je gérer cela ?".
Renforcement de la pleine conscience : Entraînez la personne à revenir dans l’instant présent en se concentrant sur des éléments concrets de la situation actuelle.
Entraînement quotidien au "Pourquoi-Comment" : Proposez à la personne de noter chaque jour ses ruminations "Pourquoi" et de prendre un temps pour les transformer en "Comment".
Développer les compétences de résolution de problème : Certaines personnes peuvent avoir l'idée que leurs ruminations abstraites sont insolubles. Proposez leur en séance de les guider dans le processus de résolution de problèmes.
Quelques exemples de ruminations courantes :
Travail : Une rumination abstraite serait "Pourquoi suis-je toujours débordé ?". Pour la rendre concrète, on pourrait se demander "Comment puis-je me m'affirmer ou me syndiquer pour demander à mon supérieur de moins me surcharger ?".
Relations sociales : Une rumination abstraite serait "Pourquoi est-ce que X ne m'a pas contacté depuis deux jours ?", pourrait devenir "Comment puis-je avoir des nouvelles de X ?".
Buts dans la vie : "Pourquoi n’ai-je pas encore atteint mes objectifs ?" pourrait être reformulé en "Comment puis-je établir un plan d’action pour avancer vers mes objectifs personnels ?".
Sens de la vie : Une question abstraite comme "Pourquoi ma vie n’a-t-elle pas de sens ?" peut devenir "Comment puis-je intégrer des activités ou des actions orientées vers mes valeurs pour avoir plus de sens dans ma vie ?".
Relations amoureuses : "Pourquoi est-ce que ce truc déplaisant m'arrive toujours dans mes relations ?", peut devenir "Comment puis-je mieux communiquer avec mon·ma partenaire et instaurer des relations plus équilibrées ?".
Regrets : Une rumination abstraite classique serait "Pourquoi ai-je pris cette mauvaise décision ?". Elle peut être transformée en rumination concrète : "Comment puis-je tirer des leçons de cette expérience et faire différemment à l'avenir ?".
Conclusion
Les ruminations abstraites prolongent et aggravent l’humeur dépressive et l'anxiété en focalisant l’attention sur des questions existentielles et introspectives sans réponses. À l’inverse, les ruminations concrètes expérientielles permettent de sortir de la spirale négative en favorisant une approche active et orientée vers la résolution de problèmes. L'expérience de pensée "Pourquoi-Comment" est utile pour aider les patients et patientes à prendre conscience de cette différence et à adopter une approche plus concrète dans leur réflexion.
La gestion des ruminations peut aussi être améliorée avec l'ATT, l'Arbre des inquiétudes et le temps dédié.
Pour aller plus loin :
Un article de Nolen-Hoeksema sur le rôle des ruminations dans la dépression : Nolen-Hoeksema, S. (2000). The role of rumination in depressive disorders and mixed anxiety/depressive symptoms. Journal Of Abnormal Psychology, 109(3), 504‑511. https://doi.org/10.1037/0021-843x.109.3.504.
Un article de Watkins sur les différents types de rumination : Watkins, E. R. (2008). Constructive and unconstructive repetitive thought. Psychological Bulletin, 134(2), 163‑206. https://doi.org/10.1037/0033-2909.134.2.163
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